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Documents : Les Salons Mauduit

mars et juin 2015
Les salons Mauduit : un dossier maudit ?
Des paroles et des actes (mars 2015)
Il y a ce que l'on dit, et il y a ce que l'on fait. Ce que l'on dit se veut vertueux, ce que l'on fait l'est souvent moins. Prenons un exemple, pas au hasard. En campagne électorale il y a quelques mois, briguant les suffrages de ses concitoyens, on peut ainsi annoncer qu'on salue l'opiniâtreté de ceux qui ont permis la sauvegarde d'éléments significatifs du patrimoine et de la vie nantaise, comme les bâtiments des chantiers navals et les salons Mauduit ; et puis quelques mois plus tard, une fois élue, signer le permis de construire d'une vaste opération immobilière « Say-Désiré Colombe » qui comprend la démolition des susdits salons Mauduit. Mais, dira-t-on, ceux-ci seront reconstruits « à l'identique », en sous-sol avec remise en place d'éléments décoratifs préalablement déposés. L'honneur serait-il sauf ? Aurait-on pu concilier des intérêts contradictoires ? Le dialogue citoyen aurait-il joué pleinement ?
L'histoire des salons Mauduit, crées en 1905, est longue, trop longue : acquis en 1980 par la ville de Nantes, mais laissés sans entretien, ils sont voués à la destruction quand un maire en campagne électorale, en 1989, décide de les sauver. Rénovation, agrandissement, les voilà rouverts au public en 1990. Mais les voisins se plaignent du trouble causé à leur tranquillité – les mêmes qui font annuler le projet Dobrée ? - et, à l'issue d'une étude acoustique les salons sont à nouveau fermés pour raison de... sécurité. Ils devaient rouvrir après travaux en 2006, mais le temps a passé et la politique de la ville a changé : il faut réhabiliter, densifier, aménager, mixer, restructurer, rénover, rendre attractif... Les permis de construire sont largement accordés, qui entraînent la disparition de nombre d'édifices à l'intérêt historique et architectural inégal certes, mais dont la présence dans le tissu urbain permettaient pour certains de lire l'évolution de la cité.
Récemment encore, les salons Mauduit avaient gardé ce caractère de marqueur de l'histoire de la ville, et l'apposition d'une étoile sur le plan local d'urbanisme, les inscrivant comme élément « protégé » au titre du « patrimoine nantais », permettait – sur le papier – de les conserver « pour des raisons architecturales, culturelles et politiques ». Mais voilà, ce n'était pas une bonne étoile, d'autres étoiles n'ont d'ailleurs pas empêché la mise à bas d'autres édifices qui en étaient marqués. Alors, quoi d'étonnant quand on apprend par voie de presse que les avis circonstanciés des services compétents ne sont pas suivis, quand les « experts » extérieurs auxquels on a parfois recours pour éclairer les décisions n'ont pas été consultés ? Le coup était parti, le dossier bouclé...
Que risque-t-on avec la mise en œuvre du projet tel qu'il est affiché depuis plusieurs mois dans les brochures de publicité immobilière ? La perte d'un ensemble d'architecture intérieure et d'aménagement Art déco unique à Nantes, avec des salons rénovés en 1937 ornés de mosaïques, luminaires, ferronneries, fresques en staff, y compris une œuvre monumentale en laque et en relief, l'Arche de Noé, attribuée à Jean Dunand, le célèbre décorateur du paquebot Normandie...rien moins que le témoignage d'un style lancé en 1925 à Paris, avec l'exposition des arts décoratifs et industriels modernes. Détruite, l'architecture intérieure et reconstituée approximativement, sans jour zénithal ni latéral, dans des proportions inégales ; déposées les œuvres réputées remises en place, parfois sans cohérence avec leur conception, au risque d'attenter à leur intégrité...Il faut le dire : la « reconstruction à l'identique » n'existe pas, les « hommes de l'art » le savent bien ! N'y avait-il pas quelque moyen de concilier les nécessités de restructuration de l’îlot en prenant en compte le paramètre de la conservation in situ de ces éléments représentatifs de l'art et de la vie nantaise ? Ce n'était pas impossible et le projet n'aurait eu qu'à y gagner ; encore eut-il fallu que les concepteurs et ceux qui les ont accompagnés en aient eu la volonté, aient pu mesurer les enjeux en amont, aient eu la connaissance du site auquel ils étaient confrontés. L'ignorance est bien souvent la cause des plus grandes catastrophes ; à leur niveau, les salons Mauduit en sont un exemple de plus.
Cette « affaire Mauduit » laisse comme un goût amer, et suscite à la fois colère et lassitude. Colère devant le déroulé de l'histoire et cette répétition inexorable des mêmes procédures incomplètes, des mêmes constats, de la mise devant le fait accompli ; lassitude face à cette impuissance, toujours, devant les appareils de décision et la lecture univoque et réductrice des aménageurs... Nous sommes historiens, architectes, citoyens...sommes-nous condamnés à assister à l'écriture de tels avatars sans réagir ? Combien de dossiers y a-t-il sur la planche, que nous connaissons ou que nous découvrirons, sur lesquels nous ne pourrons agir, malgré les paroles prometteuses, en attendant les actes irrémédiables ?
25 mars 2015

En savoir plus sur l'histoire des Salons Mauduit

 

La loi du marché
(juin 2015)

Est-il besoin d’évoquer à nouveau ce que l’on appellera désormais « l’affaire Mauduit » ?
Dans un éditorial de mars dernier, j’évoquais le sort réservé aux anciens salons Mauduit dans le projet immobilier qui impacte l’îlot des anciens bâtiments de la bourse du travail et du lycée Livet à Nantes : dépose d’éléments de décor Art déco, reconstruction « à l’identique » de la grande salle, en pointant les changements d’orientation de la ville de Nantes et l’absence de concertation – autre qu’en direction des riverains – quant à l’intérêt patrimonial du site. La cause semblait alors être entendue ; mais une association de défense du patrimoine a, in extremis, déposé un recours juridictionnel contre le permis de construire, suivi d’une demande de suspension des travaux. La procédure au fond n’aboutira que dans de nombreux mois, mais l’ordonnance de référé du juge administratif a débouté l’association, autorisant de facto le maître d’ouvrage à procéder à la dépose des œuvres, déjà réalisée, et à la démolition de l’immeuble prévue au mois de juillet. Alea jacta est ! Les salons Mauduit ont vécu et ne resteront dans la mémoire collective qu’au travers des bas reliefs du grand salon et du laque de Pierre Dunand (tout le monde l’a, longtemps, attribué à son père Jean, sans vérifier plus avant cette paternité) remis en scène dans les bâtiments modernes qu’il reste à construire.
Et dans cette histoire qui aura duré quelques mois, quel silence assourdissant des Nantais ! Qui s’est manifesté, dans un sens ou un autre, à propos du projet Mauduit et du risque éventuel encouru par ses décors ? Quel dialogue s’est instauré, a posteriori certes, après la lecture des articles de presse qui ont ponctué le déroulement de l’affaire ? Le patrimoine est-il seulement l’affaire de quelques-uns, ou nos compatriotes se contentent-ils du discours édulcoré qu’on leur tient, sans se poser davantage de questions, sans lever « l’ombre d’un doute » ?
Ainsi est confirmée, par l’affaire Mauduit, la pratique courante en matière d’aménagement de la ville et de mise en valeur du patrimoine : définition d’un programme répondant au double souci de densification et d’animation des quartiers (logements et commerces), concertation a minima en prenant soin de ne pas prendre ou suivre l’avis des personnes compétentes (services municipaux, services de l’État, conseil scientifique, associations ad hoc), communication restreinte (rétention d’informations, secret tenu sur des points sensibles ou réputés tels). Le projet est mis sur la place publique une fois qu’il est bouclé et que plus rien ne s’oppose à sa mise en œuvre. Cela vaut bien entendu pour tout ce qui n’est pas emblématique car, dans ce cas – et c’est très vertueux -, on ne se gêne pas pour « mettre le paquet » : porte Saint-Pierre, basilique Saint-Nicolas, passage Pommeraye…, voire chantiers de fouilles ouverts, fort heureusement, à la médiatisation, avant que les aménageurs arrivent. Et quand le site n’est pas emblématique mais qu’il s’est imposé par l’action associative, il le devient et apparaît alors – c’est toujours vertueux – comme le « fer de lance » de la politique patrimoniale (couvent des Cordeliers).
Bref, ne jetons pas la pierre sur tous les cas de figure, il en est heureusement qui ne suscitent pas de critique et qui sont portés par des acteurs dont il faut saluer le travail (les archéologues de la DParc notamment), mais qui doivent subir eux-aussi la loi du marché dont sont empreintes les politiques publiques.
Peut-on être rassurés en regardant ailleurs ? Non bien entendu, car c’est un peu partout sur le territoire que l’on constate cette « dérive » : ici c’est un lotissement réalisé sans diagnostic archéologique ou fouilles préventives (pour ne pas retarder le chantier bien entendu et grever le budget de l’aménageur), là c’est le mépris de l’application de la réglementation sur les sites protégés ou les monuments historiques, quand on n’a pas affaire, pour donner une nouvelle vie à un château classé MH – et le but est louable – à son aménagement en appartements de luxe « avec tout le confort moderne » et à la mise en vente de la chapelle avec possibilité de la transformer en logement via la remise en cause de son volume intérieur…
Et là encore, qui s’en préoccupe ? Il faut d’abord s’en apercevoir, ce qui nécessite une veille préalable, ou constater le problème une fois le coup parti, quelquefois à la lecture d’un article de presse dû à un journaliste curieux ou à une association vigilante. Et après ?
Voila bien des propos pessimistes direz-vous : oui, ils le sont et ils témoignent de la légèreté de notre époque, de la multiplicité des préoccupations de chacun, de l’intérêt superficiel de nos contemporains pour le patrimoine, de l’ignorance des décideurs et de leur malheureux défaut qui consiste à ne pas demander l’avis de personnes compétentes pour les éclairer, au risque de ne pas pouvoir donner satisfaction à leurs interlocuteurs privés, électeurs ou lobbyistes.
Notre tâche est rude, nous, associations qui nous efforçons d’étudier et de faire connaître l’histoire des hommes et des bâtiments, qui voulons montrer l’épaisseur de l’histoire qui a façonné le paysage et qui nous a façonné, tels que nous sommes…
24 juin 2015

 

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